Maîtriser le droit à l'image : les points essentiels pour publier en toute légalité
À l'heure où chaque collaborateur possède un smartphone et où les réseaux sociaux d'entreprise (comme LinkedIn ou Instagram) sont devenus des vecteurs de communication incontournables, la captation d'image est omniprésente. Pourtant, derrière la simplicité d'un clic se cache un labyrinthe juridique souvent méconnu.
Pensez-vous que le simple fait de recadrer une photo de groupe pour en extraire un ancien collègue est un geste anodin ? Détrompez-vous. La réalité légale en France, encadrée par le Code civil et le Code de la propriété intellectuelle (CPI), est bien plus nuancée qu'il n'y paraît. Pour les DRH, les managers ou les créateurs de contenu, ignorer ces règles peut transformer une simple publication en un contentieux coûteux.
Cet article déconstruit les mythes tenaces pour vous permettre de naviguer avec sérénité dans le droit de la personnalité et de la propriété intellectuelle
1. Flouter un visage pour le « protéger » ? Une fausse bonne idée
C’est le réflexe classique : une personne est reconnaissable sur une photo de bureau, vous n’avez pas son autorisation, alors vous floutez son visage ou recadrez l’image. Si cette action part d'une intention louable, elle peut paradoxalement vous mettre en faute vis-à-vis d'une autre loi : le droit d'auteur.
En droit français, le photographe (qu'il soit professionnel ou amateur) détient des droits moraux inaliénables sur son œuvre. Selon l’article L.121-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.
L’un des piliers de ce droit est le respect de l’intégrité de l’œuvre. Toute modification (recadrage sévère, application d'un filtre, floutage partiel) sans l'accord de l'auteur peut être qualifiée de dénaturation.
Exemple concret
Une entreprise utilise une photo prise par un photographe freelance pour son rapport annuel. Pour masquer un salarié n'ayant pas donné son accord, le graphiste floute grossièrement le visage. Le photographe peut alors attaquer l'entreprise pour atteinte à son droit moral, car sa composition artistique a été altérée sans son consentement.
Conseil : Avant toute modification technique d'un cliché, assurez-vous que la cession de droits d'auteur inclut explicitement le droit d'adaptation ou de modification.
2. Le droit à l’image ne s’arrête pas au départ du salarié
Une idée reçue très répandue en RH suggère que l'autorisation d'utiliser l'image d'un employé est tacitement liée à son contrat de travail. C'est une erreur qui peut coûter cher lors d'un départ en mauvais termes.
Le consentement d'un salarié est spécifique et temporaire. Le fait qu'un collaborateur quitte l'entreprise ne donne pas automatiquement le droit à l'employeur de conserver sa photo sur le site web, dans les brochures commerciales ou sur le compte Instagram de la société.
Le droit à l'image est un droit de la personnalité (fondé sur l'article 9 du Code civil). Pour qu'une exploitation post-contractuelle soit légale, elle doit avoir été prévue par écrit avec une durée précise, ou faire l'objet d'un nouvel accord au moment du départ.
Exemple pratique
Un commercial quitte une entreprise pour rejoindre un concurrent. Six mois plus tard, sa photo figure toujours en bannière de la page "Équipe" de son ancien employeur. Le salarié est en droit d'exiger le retrait immédiat de l'image et de demander des indemnités, car cette utilisation porte atteinte à son image professionnelle et peut créer une confusion chez ses nouveaux clients.
3. Le dualisme juridique : une photo, deux propriétaires
Il est crucial de comprendre qu'une photographie n'est pas protégée par un seul droit, mais par deux régimes qui coexistent systématiquement.
Les deux piliers à respecter
Le Droit d'Auteur (Propriété Intellectuelle) : Il appartient au photographe. Il protège la création (cadrage, lumière, choix artistique).
Le Droit à l'Image (Droit de la Personnalité) : Il appartient à la personne photographiée. Il protège son anonymat et le contrôle de son apparence.
Analogie pratique
Imaginez une photo comme une maison louée. Le photographe est le propriétaire des murs (l'œuvre). La personne photographiée est le locataire (elle dispose de l'usage de son image). Pour organiser une visite (publier la photo), vous avez impérativement besoin de l'accord du propriétaire ET du locataire. Sans ce double feu vert, l'exploitation est illicite.
4. Surprise : les bâtiments et les biens ont aussi leurs droits
Le droit à l'image n'est pas l'apanage des êtres humains. Dans certaines conditions, le propriétaire d'un bien ou l'architecte d'un bâtiment peut s'opposer à la diffusion d'une image.
Les règles de visibilité
Depuis le domaine public : En principe, une photo prise depuis la rue d'un bâtiment ne nécessite pas d'autorisation du propriétaire, sauf si l'image cause un "trouble anormal" (atteinte à l'intimité, afflux de touristes gênants).
Depuis le domaine privé : Si vous devez entrer dans une propriété ou utiliser un drone pour photographier un jardin privé, l'accord du propriétaire est indispensable.
Le droit de l'architecte : Un bâtiment récent est considéré comme une œuvre de l'esprit. Toutefois, la jurisprudence admet l'exception de "l'arrière-plan" : si le bâtiment n'est qu'un élément accessoire du décor et non le sujet principal de votre photo, l'autorisation n'est pas requise.
Exemple concret
Vous organisez un shooting mode devant un monument historique privé. Si le monument est le sujet central de votre campagne publicitaire, vous devrez probablement verser une redevance ou obtenir une autorisation signée.
5. La règle du « Sans dommage » : un piège pour les employeurs
Dans la plupart des domaines juridiques, pour obtenir réparation, il faut prouver un préjudice (une perte d'argent, une souffrance, etc.). En matière de droit à l'image des salariés, cette logique est inversée.
La jurisprudence française est constante : l'utilisation de l'image d'un salarié sans son consentement écrit et préalable constitue une faute en soi. Le salarié n'a pas besoin de prouver qu'il a subi un tort moral ou financier pour obtenir des dommages et intérêts.
« La seule constatation de l'atteinte au droit à l'image ouvre droit à réparation. » — Cour de cassation.
Pourquoi cette sévérité ?
Cette règle vise à rééquilibrer le rapport de force entre l'employeur et l'employé. Le consentement doit être un prérequis non négociable et non une simple formalité que l'on régularise après coup. Pour l'entreprise, cela signifie que chaque photo publiée sans accord est une "bombe à retardement" juridique.
Vers une gestion éthique et légale de l'image
Le droit à l'image est bien plus qu'une question de politesse ; c'est un cadre rigoureux qui protège la dignité humaine et la création artistique. Que vous soyez DRH, communicant ou photographe, la maîtrise de ces 5 vérités est le meilleur rempart contre les litiges.
Recommandations pratiques pour votre structure :
Mettez à jour vos contrats : Intégrez des clauses de droit à l'image précises (support, durée, territoire) dès l'embauche.
Auditez vos archives : Vérifiez que les photos de vos anciens collaborateurs ont bien fait l'objet d'un accord pour une diffusion post-départ.
Respectez les auteurs : Ne modifiez jamais une photo professionnelle sans l'aval écrit du photographe.
Sensibilisez vos équipes : Une courte formation sur ces enjeux peut éviter bien des erreurs sur les réseaux sociaux.
Désormais, lorsque vous appuierez sur le bouton "Publier", vous ne verrez plus seulement une image, mais un ensemble de droits respectés.

